Solidarité en danger : Le cri d’alerte d’Antoine Lissorgues de Médecins du Monde Suisse

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La radio des Français dans le monde donne la parole à Médecins du Monde Suisse : Gauthier Seys s’interroge sur les conséquences des décisions politiques américaines sur les organisations non gouvernementales. En compagnie d’Antoine Lissorgues, coordinateur général pour Médecins du Monde Suisse, le podcast explore l’impact des récentes annonces des États-Unis concernant la suspension de leurs contributions à certaines organisations de l’ONU. Comment ces changements affectent-ils le travail quotidien des ONG et les populations qu’elles servent ? Gautier invite les auditeurs à réfléchir à la fragilité des acquis sociaux et humanitaires face à des bouleversements politiques soudains.

Antoine Lissorgues est un acteur clé dans l’organisation Médecins du Monde Suisse, où il occupe le poste de coordinateur général. Basé à San Cristobal, dans l’état du Chiapas au Mexique, Antoine est au cœur de l’action humanitaire, notamment sur des programmes de santé et de migration. Son rôle l’amène à naviguer entre les défis politiques et économiques qui affectent directement les opérations sur le terrain. En tant que témoin privilégié des réalités migratoires et des enjeux de santé publique, Antoine partage son expérience et ses réflexions sur les défis actuels et les solutions envisagées pour continuer à fournir des services vitaux malgré les obstacles.

L’épisode aborde en profondeur les répercussions des décisions politiques américaines sur le financement des ONG, notamment le gel des fonds des agences comme USAID. Antoine explique comment Médecins du Monde Suisse est directement touché par ces décisions, particulièrement dans ses programmes de santé et de migration au Mexique. Il souligne l’importance de trouver de nouveaux financements pour assurer la continuité des services, tout en maintenant un engagement éthique fort envers les populations vulnérables. L’épisode se conclut sur une note d’espoir et d’appel à l’action, encourageant les auditeurs à soutenir les ONG et à promouvoir un débat public sur ces enjeux cruciaux.

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Chapitrage de l’épisode :

00:00:01 – Introduction et présentation
00:01:42 – Actualité: Annonce des États-Unis et impact
00:02:37 – Conséquences immédiates des décisions américaines
00:05:00 – Réaction et adaptation de Médecins du Monde Suisse
00:06:17 – Triple impact des coupures de financement
00:08:11 – Rechercher des solutions et nouveaux financements
00:09:56 – Les défis quotidiens et l’engagement des équipes
00:11:00 – Perspectives et espoirs de solutions à venir
00:11:43 – Réflexion sur l’IVG et le recul des droits
00:12:46 – Importance d’en parler et d’agir concrètement
00:13:47 – Message de conclusion et appel à la solidarité
00:14:00 – Remerciements et clôture de l’épisode
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Transcription de l’épisode :

Bienvenue dans 10 minutes, le podcast des français dans le monde. Je suis Gautier Saïs et j’ai le plaisir de passer 10 minutes avec Antoine Lissorg, coordinateur général pour Médecins du Monde Suisse. 10 minutes, le podcast des français dans le monde. Sur la radio des Français dans le Monde, sujet sensible que nous allons aborder avec notre invité Antoine qui est de retour plus de quatre ans après son premier passage. Mais fidèle auditeur, entre deux bonjours, bienvenue Antoine.
Bonjour Gauthier, ravi de te retrouver quelques années plus tard et puis de pouvoir échanger sur un sujet d’actualité qui nous touche directement. Tu restes auditeur régulier de la radio, tu entends même régulièrement des amis que tu as connus dans le cadre de la mobilité internationale passer sur notre antenne. Oui, c’est toujours un plaisir. J’écoute régulièrement la radio, les podcasts et puis j’ai l’occasion d’entendre des amis parfois. C’est un peu une surprise et ça fait toujours plaisir de les entendre et de savoir un petit peu ce qui se passe aussi à travers le monde finalement, parce que écouter la radio, c’est aussi un peu un grand voyage.
On passe d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre et je trouve ça effectivement très intéressant. Et on me dit souvent que lorsqu’on entend quelqu’un que l’on a déjà croisé, on découvre des choses grâce à ce podcast. Oui, il y a quelques jours, j’ai pu entendre Laure Balèze, qui est une amie et on se connaît aussi depuis plusieurs années maintenant. Donc oui, on en apprend toujours. C’est intéressant de pouvoir saisir certaines curiosités chez certains amis.
Parlons maintenant de l’actualité, c’est toi qui t’es tourné vers la radio des français dans le monde, tu fais d’ailleurs le tour des médias, tu seras sur Radio-Canada demain, puisqu’en tant que coordinateur général pour médecins du monde suisse, tu es au cœur de ce sujet important, l’annonce par les Etats-Unis de suspendre les contributions à des organisations de l’ONU, donc premier touché directement aujourd’hui, Concrètement, au moment où on se parle, un mot sur Médecins du Monde Suisse, parce qu’il y a plusieurs organisations différentes. Et où tu te trouves dans le monde ? Médecins du Monde, c’est un grand réseau avec 17 chapitres. Je représente donc Médecins du Monde Suisse au Mexique. Je suis basé à San Cristobal, dans l’état du Chiapas, qui est un des deux états affrontaliers avec le Guatemala, la frontière sud du Mexique.
Et donc, on développe plusieurs programmes et entre autres un programme sur la santé et la migration qui, justement, touche ces deux états, le Tabasco et le Chiapas. Alors ce projet est donc aujourd’hui directement touché par cette annonce depuis l’arrivée du nouveau président américain. Concrètement la politique migratoire, si mes informations sont bonnes, au lendemain de la signature des décrets, ça commençait à rentrer dans le vif. Les sites étaient coupés, immédiatement des décisions ont été prises qui ont modifié le quotidien. Oui, alors il y a, moi je dis un petit peu que ça nous touche doublement.
D’une part, il y a ce qui concerne le contexte migratoire actuel, donc avec ces fameuses déportations massives des États-Unis, soit vers le Mexique ou d’autres pays ou les pays d’origine. Pour l’instant, il est difficile d’en mesurer l’impact. Les premiers chiffres au Mexique, en tout cas sur les 15 premiers jours, si mes souvenirs sont bons, on parlait de 8000 Mexicains qui avaient été déportés à peu près au Mexique et 2500 étrangers déportés au Mexique. Et ensuite, il y a également des déportations vers d’autres pays. Et puis, deuxièmement, effectivement, ce que tu mentionnes, on est touché directement en tant qu’organisation internationale, en tant qu’ONG, par les Le gel des fonds, je n’ai pas encore envie de parler de coupure, même s’il est possible que ça vienne par la suite, mais le gel des fonds pendant trois mois des fonds des agences comme USAID, l’agence de développement et d’aide internationale des Etats-Unis.
Et puis nous, dans ce cas-là, on est directement touché par une agence qui s’appelle BPRM, le Bureau pour les populations, les réfugiés et les migrants, qui était un des principaux contributeurs de notre programme Santé et Migration. Antoine, ce que tu veux dire c’est que, déjà là maintenant, immédiatement, ça a été appliqué. C’est-à-dire que le décret est paru le 24 janvier, et nous le 27, donc on travaille à travers un consortium, donc il y a une organisation qui est, on va dire, première ligne sur le consortium et donc on a reçu une lettre le 27 comme quoi on devait cesser nos activités, ce qu’on n’a pas fait bien sûr. On a continué et la direction de médecins du monde suisse a validé l’approbation de ce qu’on appelle des fonds propres ou des fonds d’urgence pour pouvoir continuer notre activité. Pour l’instant sur six semaines il y a eu une deuxième validation jusqu’au 30 avril qui devrait être la date sur laquelle on devrait un petit peu savoir finalement qu’est-ce qui va advenir de la suite par rapport au fonds américain.
Mais c’est surtout pour nous une question d’éthique, de responsabilité. En tant qu’ONG médico-humanitaire, on ne peut pas arrêter un projet en 24 heures. On ne peut pas laisser des patients, des usagers sans traitement du jour au lendemain. Ça serait complètement irresponsable. Donc je salue aussi un peu le courage finalement de la direction de médecins du monde suisse.
Concrètement, on se prend un coup, on s’assoit, on est sonné. Directement, on est sonné, mais plus que sonné, moi, c’est de la révolte. C’est un peu aussi pour ça que je t’ai contacté, parce que c’est ce sentiment de… Alors, le premier sentiment, c’est de se dire, mais qu’est-ce qui se passe ? Je ne pensais pas que ça allait être aussi brutal et aussi rapide.
C’est quand même sous 24 heures. Honnêtement, je n’y croyais pas au début. Puis après, on se réveille, on se dit, il faut faire quelque chose, il faut en parler. il faut surtout garantir dans un premier temps la continuité du travail parce que comme je dis quelque part c’est la triple peine c’est à dire que c’est nos usagers, nos patients qui sont touchés de plein fouet puisque avec une interruption des activités pour certaines organisations. Deuxièmement c’est mes équipes qui sont touchés directement.
Ce n’est jamais facile de dire à nos équipes, écoutez, on va peut-être devoir arrêter un programme, il vous reste six semaines, maintenant ce sera jusqu’au 30 avril. On avance un peu jour après jour. J’ai des médecins, des infirmiers, des logisticiens, des chauffeurs. Et puis la triple peine, la troisième, c’est qu’on est touché de plein fouet dans nos valeurs, à savoir la solidarité internationale, on travaille sur les violences liées au genre, les violences sexuelles, on travaille sur la diversité, on travaille sur l’IVG, l’accès à l’avortement. Voilà, c’est des valeurs qu’on défend depuis des années, qu’on porte haut dans notre agenda et dans ce qu’on fait au quotidien et donc là on se sent triplement touchés.
Alors, on est sonné, mais assez vite, on se redresse. On se pose des questions. Comment on peut avancer ? Le choc est là, la peur est là, mais les questions aussi de savoir comment se réinventer arrivent sur la table. Alors, oui, se réinventer.
On en a beaucoup parlé, je pense, dans la période du Covid. On a essayé de se réinventer. C’est un peu, de toute façon, dans le monde actuel, Il y a une forme d’instabilité permanente. Il faut trouver des solutions au quotidien. Donc là, pour l’instant, pour nous, c’est aller chercher des nouveaux bailleurs de fonds, des nouveaux financements, puisqu’on dépend quand même de l’aide internationale, dans un contexte qui est quand même pas se mentir, assez difficile.
La France vient également de couper sur son budget approuvé fin janvier l’équivalent de 37%, une coupure de 37% sur l’aide publique au développement. Et la tendance va un peu vers ça en Europe également, face à des budgets d’austérité. Donc on essaie de trouver des solutions, on essaie d’alerter et de dire Il faut continuer de l’avant. Alors avec quel financement ? On va voir.
Il y a des fondations privées. Il y a plusieurs possibilités. C’est aussi l’occasion d’en parler. Alors en effet, il y a la décision des États-Unis avec l’arrivée du nouveau président. Il y a la situation économique, la situation politique mondiale.
Tout ça fait qu’on est dans un changement de paradigme. La Terre se met à tourner dans un autre sens. Quelque part, oui. Au début, comme tu disais, on est sonné. On pense déjà à notre programme.
Mais si on arrive à prendre un peu de la hauteur dans ce contexte et dans cette conjoncture qui n’est pas facile, on se rend compte que finalement, c’est oui, un changement de paradigme. Pendant des années, il y a quand même eu Je pense à un certain consensus de certains pays sur ce que devait être l’aide publique au développement, même si on n’a jamais atteint les 0,7% du budget ou du PIB auquel s’étaient engagés les Etats des pays, ce qu’on appelle les plus développés. Mais il y avait quand même ce consensus. Aujourd’hui, c’est un petit peu un retour en arrière où on voit des coupures qui tombent. Et en général, quand il y a des budgets d’austérité, les premiers budgets en faire les frais souvent, ça va être la culture, ça va être l’aide au développement et donc oui je pense qu’on assiste à un changement de paradigme et peut-être il va falloir clairement se réinventer en tant qu’OMG sur les années à venir en tout cas.
Alors vous avez l’assurance qu’au quotidien ça tourne puisque des fonds spéciaux ont été débloqués mais tu sais aussi que ça ne va pas durer dans le temps, est-ce que tu penses qu’il va y avoir assez rapidement des solutions sur la table ? On espère, ce qui est frustrant c’est qu’elles ne dépendent pas que de moi, nous en tout cas on garantit la qualité des projets, ça je crois que c’est le plus important et avec l’engagement que je connais de mes équipes sur le terrain, parce qu’il faut voir les conditions aussi dans lesquelles travaillent les équipes, on travaille sur des cliniques mobiles, dans des contextes assez hostiles, être dans une clinique mobile c’est C’est un petit cabinet médical roulant où on a des psychologues, il fait 45 degrés avec des personnes migrantes qui ont parcouru des étapes accroces pour dire le mot tel qu’il est. inhumaines, des personnes qui arrivent du Venezuela, qui ont traversé toute l’Amérique centrale, qui ont traversé le fameux détroit du Darien, où de nombreuses femmes, des personnes issues de la communauté LGBT ont été victimes de violences sexuelles. Donc, c’est des conditions très difficiles. Mais pour en revenir effectivement à cette question-là, nous, en tout cas, il y a un engagement sur jusqu’à fin avril de médecins du monde suisse pour continuer les programmes et il va falloir trouver d’autres solutions parce qu’après le 30 avril effectivement comme tu le dis on dépend de fonds aussi, de fonds de certaines fondations privées, de fonds de gouvernements donc il va falloir garantir cette continuité on va se battre en tout cas pour que le programme puisse continuer.
Antoine, pour conclure de façon un peu plus métaphysique, alors moi j’ai 53 ans, l’IVG par exemple, je me dis que ceux qui se sont battus depuis des dizaines d’années pour que la cause avance, comment en aussi peu de temps les choses ont pu se retourner ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Alors peut-être que c’est un point sur lequel je suis un peu plus optimiste parce qu’on vit aussi la lutte pour l’accès à l’IVG au Mexique. Il y a eu cette fameuse décision de la Cour suprême de justice en 2023-2024, si mes souvenirs sont bons, où on dépénalise l’IVG, on dépénalise les personnes qui le pratiquent et on voit l’effet inverse aux États-Unis.
Et parfois, on a tendance à penser qu’il y a beaucoup de choses qui sont acquises. Malheureusement, on voit qu’il y a aussi ce qu’on appelle le fameux backlash. Et donc, il y a un retour en arrière sur certaines valeurs pour lesquelles on pensait que c’était acquis. Et donc, c’est pour ça aussi que c’est un sujet très important chez Médecins du Monde. Donc, au Mexique, quelque part optimiste parce que les choses avancent, au Chiapas en début d’année, puisque bon, on est sur un état fédéral au Mexique.
et les entités fédérales, comme l’état du Chiapas, chacun doit approuver dans sa constitution la dépénalisation de l’IVG. Je suis optimiste parce que la loi est passée même au niveau du Chiapas. Maintenant, évidemment, il y a la législation, il y a la pratique et on voit qu’il y a encore certaines barrières pour avoir accès à l’IVG. Et quand on voit les situations, je le répète, dramatiques auxquelles sont confrontées des femmes migrantes en particulier, qui ont été victimes de violences sexuelles plusieurs fois sur leur parcours. J’ai du mal à comprendre qu’on puisse pénaliser l’IVG, mais comme c’est le cas dans beaucoup de pays d’Amérique centrale d’ailleurs.
Antoine, pour terminer, alors justement, je remarquais, comme la ligne éditoriale de la radio des Français dans le Monde, un certain optimisme. Qu’est-ce que les auditeurs de la radio peuvent faire aujourd’hui ? Si tu t’es tourné vers nous, c’est pour mettre le sujet sur la table. Est-ce qu’il y a des choses concrètes à faire ? Des choses concrètes, déjà en parler.
Je trouve qu’on est beaucoup trop silencieux par rapport à ce qui est en train de se passer dans le monde. Peut-être qu’on en parle au café du coin, mais j’ai l’impression qu’on est encore trop silencieux. Il faut en parler dans le débat public. Il faut générer quelque chose, peut-être un mouvement qui puisse nous permettre de continuer à se battre pour nos valeurs. Et puis, des choses plus pratiques, évidemment, on peut faire une donation à un médecin du monde, que ce soit en Suisse, en France.
Et comme je le dis tout le temps, en espagnol, il y a une expression qui dit « todo suma ». Quelque part, c’est « tout compte ». Chaque petit centime, chaque petit euro qui peut être donné, tout ça, finalement, sera, et je le garantis, bien utilisé puisque, une fois de plus, je crois qu’on mène des projets de qualité et surtout avec un véritable engagement de la part des équipes, qu’elles soient au siège, qu’elles soient sur le terrain et dans cette union parce qu’on croit en ce qu’on fait et je crois qu’aujourd’hui c’est encore important de défendre ces valeurs et de défendre ces valeurs de justice sociale et comme on le dit chez Médecins du Monde, peut-être une des plus grandes tâches pour nous, c’est de combattre l’injustice au-delà même de l’accès à la santé. Merci, c’est très clair. Merci d’être intervenu.
On va garder contact. On va voir un peu comment les choses, évidemment, vont évoluer dans le temps. Il me reste à tout souhaiter et ça va être bien difficile de conclure par ça, mais une bonne fin de journée. A bientôt. Merci à toi, Gauthier.
Merci aux auditeurs. Vous écoutez la voix des expats.
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