Alliance Française de Bethléem : Enseigner en temps de guerre

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Comment continuer à vivre et enseigner dans une région en guerre ?
Dans cet épisode poignant, nous nous rendons à l’Alliance Française de Bethléem, en Palestine, pour rencontrer Fayrouz Abboud , la directrice de l’établissement. Comment continue-t-on à enseigner et à organiser des activités culturelles dans une région marquée par le conflit et l’incertitude? Fayrouz partage avec nous son quotidien, ses défis et les raisons pour lesquelles elle et son équipe persistent à offrir un semblant de normalité aux jeunes Palestiniens. Comment parviennent ils à maintenir l’espoir et à encourager l’apprentissage dans un environnement aussi difficile ?

Fayrouz Abboud, franco-libanaise, a quitté Lyon en 1998 pour s’installer à Bethléem avec sa famille, dans un contexte d’espoir lié au processus de paix. Aujourd’hui, elle dirige l’Alliance Française de Bethléem, un lieu de rencontre et d’apprentissage pour les francophones et les francophiles de la région. Sous sa direction, l’Alliance est devenue un refuge culturel où les enfants, les jeunes et les adultes peuvent se retrouver pour apprendre le français et participer à des activités qui les aident à surmonter les difficultés quotidiennes. Fayrouz nous raconte comment elle a vu la région changer au fil des années, avec l’augmentation des colonies et les tensions croissantes.

L’épisode aborde les efforts de l’Alliance Française pour offrir des cours gratuits ou semi-gratuits, grâce au soutien d’associations et de villes françaises, permettant ainsi aux familles touchées par la guerre de continuer à éduquer leurs enfants. Fayrouz explique l’importance de l’éducation et de la culture comme moyens de soutien psychologique et d’espoir pour l’avenir. Elle partage sa vision optimiste, malgré les défis, en soulignant la résilience et la force du peuple palestinien. L’épisode se termine sur une note d’espoir, avec la conviction que même dans les moments les plus sombres, il est crucial de continuer à vivre et à rêver.

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Chapitrage de l’épisode :

00:00:01 – Introduction et bienvenue à Fayrouz Abboud
00:00:30 – Enseigner durant la guerre
00:01:00 – Importance des activités pour les enfants
00:02:10 – Les checkpoints et la mobilité restreinte
00:02:30 – Adaptation des activités à l’Alliance Française
00:04:00 – Soutien international pour continuer les cours
00:04:45 – Retour sur l’arrivée de Ferrouz à Bethléem
00:06:00 – Expansion des colonies et changements régionaux
00:07:30 – Présentation de l’Alliance Française de Bethléem
00:09:30 – Impact psychologique des cours de français
00:10:55 – Perspective optimiste de l’avenir
00:13:00 – Message de résilience et conclusion
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Transcription de l’épisode :

Direction l’Alliance Française de Bethléem, nous sommes en Palestine et on va retrouver la directrice de l’établissement, Fayrouz Abboud, qui est avec moi aujourd’hui. Bonjour, bienvenue sur la radio des Français dans le Monde. Bonjour. Merci de nous accorder quelques minutes. On va échanger évidemment sur votre situation assez terrible.
Vous continuez à donner des cours dans une région en guerre. Tu me disais en préparant cette interview que c’était important pour les enfants et les jeunes notamment, parce qu’évidemment, depuis quelques mois, l’ambiance est extrêmement tendue et vous sentez l’obligation d’occuper ces jeunes ? Oui.
À l’Alliance Française de Bethlehem, on a un public différent. On a des adultes, des jeunes et des enfants. Et on a remarqué que pendant ce temps de gap qui dure depuis un an et quelques mois, on a remarqué que c’est les enfants qui souffrent le plus de cette situation. Alors on a intensifié nos activités envers les enfants. On a les enfants qui viennent tous les vendredis.
On a une quarantaine d’enfants qui viennent apprendre le français d’une façon un peu différente, on va dire. Et aussi, pendant l’été 2024, on avait deux écoles d’été pendant juin et juillet pour occuper les enfants tous les jours, parce que les parents sont demandeurs, les enfants… Il n’y a pas grand-chose à faire avec les… On est assiégés et… Il n’y a pas beaucoup d’espaces verts pour visiter et les gens évitent de sortir de la région parce qu’il y a beaucoup de checkpoints.
Comme vous le savez peut-être, il y a 900 checkpoints dans toute la Cisjordanie. Chaque ville est coupée l’une de l’autre. Bethlehem est coupée d’Evron, Bethlehem est coupée de Jericho, de Ramallah et on ne bouge plus. Chaque population essaie de ne pas trop circuler pour éviter le danger. D’aller d’une ville à l’autre, il y a tellement de checkpoints qui sont soit fixes, soit volants.
C’est très compliqué, donc les gens ont tendance à ne pas bouger. Et puis, tu le disais, toute l’activité culturelle s’est arrêtée. Peu d’espace vert, pas grand chose à faire. Du coup, vous sentez un peu l’âme d’organiser des événements, des déjeuners, faire du théâtre, donner des cours, occuper le quotidien. Oui, c’est ce que…
Bon, au début de la guerre, c’était vraiment le gel total, c’est-à-dire les gens ne bougeaient plus pendant un mois, puis il fallait continuer à vivre. Alors on a commencé à créer des activités comme ça à l’intérieur de l’Alliance, comme c’est un lieu sécurisé, plus ou moins, à l’Alliance française de Bethléem. Et comme les jeunes, les étudiants, ils venaient vers nous, ils nous exprimaient leurs inquiétudes, leurs dépressions même, et on essayait de rendre ce lieu vivant et continuer à les accueillir et faire ce qu’on peut. Et aussi on a eu beaucoup de soutien de la part des amis en France, des villes en France, de la ville de Lourdes, de la ville de Tintre, des associations solidaires avec les palestiniens qui ont parrainé nos étudiants, c’est pourquoi on a pu continuer, parce que c’est vrai, en temps de guerre, il n’y avait plus de travail, les gens n’avaient plus le moyen de payer les frais de scolarité pour leurs enfants, ou bien pour les adultes aussi, on a pu continuer grâce à ce soutien. Les cours sont d’ailleurs gratuits maintenant.
Il y a des cours gratuits, il y a des cours semi-gratuits. Parce qu’il ne faut pas que ce soit complètement gratuit. Ça rend les choses plus difficiles après pour reprendre. Voilà. Alors Ferrouz, on va revenir un peu en arrière, si tu veux bien, parce que la situation aujourd’hui est extrêmement compliquée.
Mais quand vous avez décidé avec ton mari et votre fils, qui a aujourd’hui 31 ans et qui est avocat, de quitter la France, tu es franco-libanaise, tu vivais à Lyon, tu décides de partir t’installer à Bethléem en 1998, c’était à 26 ans.
Tu arrives, on est en plein moment de processus de paix, il y a de l’espoir, on se dit que les choses vont s’arranger, il y a des projets qui se mettent en place. Tu te souviens de ton arrivée en 98 à Bethléem ? La ville était sans doute très différente d’aujourd’hui. Oui, c’était une ville en plein… construction, on pouvait bouger, circuler entre les villes, on pouvait aller à Jérusalem différemment, à Ramallah aussi, c’est-à-dire qu’on passait une demi-heure pour arriver à Ramallah, et il y avait peu de colonies autour de Bethlehem, mais maintenant, quand je dis Bethlehem, c’est Bethlehem, Beth-Jala, Beth-Shavuot, c’est une.
Un ensemble de 3 villes-villages. Tu me disais, il y a 3 villes et 14 villages à peu près ? Oui, qui font à peu près 180 000 habitants. C’est notre champ d’intervention, on peut dire. Et autour, maintenant, il y a presque le même nombre de colons qui étouffent la ville, qui étouffent ce territoire, le district de Bethléem.
Quand on est arrivé en 98, il y avait quelques colonies sur les collines. Et maintenant, je n’ai pas de chiffres, mais je peux citer quelques colonies. Il y a Gilo, il y a Bitar, Ilit, il y a plein. Et j’ai assisté entre 98 et jusqu’à maintenant, l’installation de ces colonies, parce qu’à chaque fois qu’il y avait une installation d’une colonie, il y avait aussi beaucoup de répostes de la part des Palestiniens, parce qu’on confisquait des terrains agricoles et il y avait des manifestations. Voilà.
Mais bon, ça a continué, le projet a continué jusqu’à maintenant. Alors, tu me disais, il y avait une illusion au moment où tu es arrivé, parce qu’on est passé très vite de l’illusion à la désillusion. Un mot sur l’Alliance française de Bethléem, installée près de l’église de la Nativité. Un petit mot pour nous dire un peu où elle se trouve.
L’Alliance française de Bethléem, elle a été fondée en 2003. Dès le début, elle était installée Dans ce quartier, on a changé de local mais on est toujours dans les alentours de l’église de la relativité et ça nous donne beaucoup de visibilité auprès des palestiniens bien sûr, mais aussi les français et les francophones de passage. Dès le début, la vocation d’Allianz Française c’était de l’entraînement du français avant, on disait, l’échange culturel entre la Palestine et les pays francophones, notamment la France. Alors aujourd’hui, il y a une trentaine de familles, à peu près 70 personnes. Tu disais, la plupart du temps, ce sont des doubles nationalités, mais il y a aussi quelques Français qui travaillent sur place.
Par exemple, le directeur de l’hôpital français. Oui, il y a… Maintenant, je dis, mais avant, en temps normal, il y avait beaucoup plus de Français. Maintenant oui, il y a ces familles qui se rendent aussi à l’Alliance et qui font partie aussi des membres parce que l’Alliance française de Vietnam c’est une association locale de droits palestiniens comme toutes les autres alliances dans le monde, comme vous le savez, c’est des organisations de droits locales. Alors les membres de l’Alliance sont la plupart ou bien des Français, des Franco-Palestiniens ou bien des gens intéressés à la Franco-Palestine, à la culture française.
Voilà. Alors Bethlehem, elle est connue comme la ville francophone de Palestine parce qu’il y a beaucoup de… il y a toujours des écoles qui enseignent le français. Il y a 12 écoles sur le district qui enseignent le français. Du coup, il y a des générations qui connaissent le français à Bethlehem. Et quand vous passez dans la rue, il y a des gens, quand ils se rendent compte que vous êtes français, ils peuvent… s’adresser à vous, vous dire bonjour, venez prendre un café chez moi, voilà.
Évidemment, depuis un an et demi au début de la guerre, ça a commencé par un traumatisme. Tu disais pendant quelques semaines, tout s’est arrêté. Il n’y avait plus du tout d’activité, mais vous avez tous tenu à vous y remettre, à reprendre des cours, à créer des activités. C’est important, justement, dans le quotidien, d’arriver à changer d’esprit un peu. Oui c’est très important et on le sent comme un devoir parce que surtout que moi je suis d’un certain âge je veux dire et j’ai de l’expérience dans la vie et à chaque fois que j’entendais les jeunes discuter de la situation et qu’ils ont… les jeunes disaient il ne faut pas arrêter et il faut qu’on les soutienne.
Moralement, les cours de français ont constitué vraiment un soutien psychologique parce qu’on vient au cours, on change d’idée, on se voit, on discute et on rêve aussi parce que les langues, quand on apprend une nouvelle langue, ça nous transporte un peu. Parce qu’en temps de trauma, de traumatisme, je ne sais pas si vous avez expérimenté ça dans votre vie, mais quand on est traumatisé, on arrête de rêver. On n’a plus d’imagination. Et ça, c’est le plus grave. Et pour en sortir, il faut arriver à reprendre cette…
responsabilité, capacité. Pour allumer un peu la flamme du futur, un peu d’espoir. Justement, Ferrouz, comment tu vois l’avenir ? Comment tu vois les prochaines semaines, les prochains mois, les prochaines années ? Moi, je suis la plus optimiste.
Je vois toujours l’avenir beau, parce que si on fait des petits bonheurs, tous les jours, on ne pense plus à hier ni à demain beaucoup, on fait des choses tous les jours, on peut vivre plus paisiblement. Mais l’avenir ici, c’est-à-dire maintenant, on se sent écrasé. Il y a des puissances internationales qui viennent nous amener des projets incompréhensible, de chasser les gens de leurs terrains pour installer d’autres, des choses qu’on n’arrive pas à croire, mais les gens ici ils ont peur.
Je vois les jeunes qui viennent à l’Alliance en discuter tous les jours, mon fils aussi, il s’inquiète beaucoup. Mais bon, de toute façon, comme j’ai connu beaucoup de guerres, la guerre va finir un jour, les gens vont trouver un moyen s’entendre et je crois que les Palestiniens, ils ont beaucoup de force, même si parfois ils se sentent écrasés, mais bon, de pouvoir survivre toutes ces années avec cette occupation. Alors, ils ont beaucoup de force et ils sont un peuple cultivé.
La plupart des jeunes, ils vont dans les universités. C’est vrai qu’il n’y a pas beaucoup de débouchés, mais ils aiment se cultiver, d’étudier. Alors, ta réponse à ma question, c’est de me dire, pour toi, le futur, c’est déjà que la prochaine journée se passe bien, finalement. Oui, on espère et en même temps, On ne sait plus maintenant, on ne sait plus ce qui va se passer. C’est difficile de voir au-delà.
Quand on a l’énergie de continuer, ça veut dire que ça va bien passer. Même s’il y a des gens qui meurent, il y en a d’autres qui vont rester. C’est l’histoire de l’humanité. Même en Europe, il y a eu une grande guerre, 50 millions d’étrangers Et après, ils ont pu reprendre la force et revivre et reconstruire leur pays. Les guerres vont finir un jour ou l’autre.
— Eh bien, Ferrouse, merci pour ce message. Depuis l’Alliance française de Bethléem, on voulait aujourd’hui avoir cet éclairage sur le dynamisme que vous décidez, avec beaucoup d’énergie, à mettre chaque jour pour que la vie continue. Oui, merci à vous. Et comme je m’appelle Fayrouz, comme la chanteuse libanaise Fayrouz, Fayrouz, dans une de ses pièces de théâtre, elle dit « On continue avec ceux qui restent ». Et nous, on continue avec ceux qui restent.
Merci pour ton témoignage. Eh bien, passe le bonjour de la part de toute l’équipe de la radio des Français dans le Monde à toute l’équipe du personnel de l’Alliance française. Oui, et vous aussi. Merci beaucoup.
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