Selvam Thorez : La culture au service de l’intégration

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Culture et Émancipation

Et si la meilleure arme que nous pouvions avoir était la culture ? Cette question intrigante est au cœur de notre dernier épisode, où nous explorons comment la culture peut servir d’outil puissant pour l’intégration et le progrès social. Selvam Thorez, notre invité, partage son parcours unique et ses expériences, en nous montrant comment la culture peut être une force de changement durable et profonde. Comment pouvons-nous utiliser la culture pour favoriser l’intégration et l’émancipation dans des contextes aussi divers que le Bangladesh et la France ?

Selvam Thorez, originaire de Pondichéry et adopté par une famille française, a grandi à Lille. Docteur en histoire de l’art et titulaire d’un diplôme en persan, Selvam a mené une carrière impressionnante dans le domaine culturel et académique. Il a enseigné à la Sorbonne et à Sciences Po, et a été nommé directeur de l’Alliance française au Bangladesh. Son parcours lui permet de naviguer entre différentes cultures, se sentant tantôt ambassadeur de la culture française, tantôt de la culture indienne, et utilisant ces deux identités pour construire des ponts entre les continents.

Dans cet épisode, Selvam nous parle de son travail actuel avec l’Asian University for Women, où il contribue à l’émancipation des femmes venues de pays en guerre ou de situations de pauvreté. L’université offre une éducation gratuite à ces étudiantes, et Selvam, à travers une association, aide à intégrer la culture européenne dans leur parcours. Il nous explique comment la culture, en tant qu’arme à long terme, peut transformer des vies en offrant des opportunités d’éducation et d’intégration. Il souligne également l’importance de la collaboration internationale et du soutien des donateurs pour réaliser ces projets ambitieux.

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Chapitrage de l’épisode :
00:00:00 – Introduction de l’invité Selvam Thorez
00:00:23 – Parcours personnel : D’origine indienne adopté en France
00:00:47 – Identité culturelle double : Un pont entre l’Inde et la France
00:01:26 – Carrière académique et direction de l’Alliance française au Bangladesh
00:02:42 – Arrivée à Dhaka et perceptions du Bangladesh par les Français
00:04:38 – Progrès sociaux et environnementaux dans l’industrie textile au Bangladesh
00:05:37 – Utilisation de la culture comme outil d’intégration
00:06:37 – Francophilie et activités culturelles au Bangladesh
00:07:58 – Projets culturels actuels avec l’Asian University for Women
00:08:57 – Importance de l’éducation et du soutien financier pour les étudiantes
00:10:30 – Victoires personnelles et professionnelles : Exemple d’une étudiante acceptée à l’université de Saclay
00:11:50 – Collaboration avec les institutions locales du Nord de la France
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Transcription IA du podcast :

Et si la meilleure arme que nous pouvions avoir était la culture ? Une arme à longue portée, m’a dit mon invité, mais qui prend beaucoup de temps. Bonjour Selvam Torres. Bonjour. Merci d’être avec nous sur l’antenne de la radio des français dans le monde.
On va d’abord parler de ton parcours. On va essayer de synthétiser parce qu’ouh là là, quelle carrière docteur. Merci. Tu es originaire de Pondichéry, tu vas être adopté, tu vas grandir à Lille. Tu vas d’ailleurs avoir l’occasion de retourner de temps en temps en Inde retrouver Pondichéry, c’est l’association enfant du monde qui a permis que tu sois adopté.
C’est comment du coup d’être en même temps indien et en même temps français ? Tu te sens plus quoi ? En fait, je me sens de plus en plus comme un pont entre les deux cultures et entre les deux continents. Parce que le fait d’avoir grandi en France et d’avoir eu une excellente éducation grâce à mes parents m’a permis de pouvoir porter la culture française et la culture européenne. Je pense montrer à quel point cette culture est riche.
Et en même temps, le fait d’avoir ces origines indiennes m’a beaucoup ouvert sur la culture indienne, les grandes cultures de l’Inde, du Moyen-Orient, de l’Asie en général, puisque j’ai fait mon doctorat sur la peinture indienne. J’ai étudié le persan, voilà. Donc je me sens toujours un petit peu, en quelque sorte, ambassadeur de l’un ou de l’autre, en fonction du contexte. Les deux, mon capitaine. Comme ça, il n’y a pas de problème.
Tu es en effet docteur en histoire de l’art, titulaire d’un diplôme de persan à l’ILALCO. C’est une belle carrière, un doctorat important. Tu as fait des recherches universitaires, professeur à la Sorbonne et à Sciences Po, conférencier. Tu es une tête de la culture. Oui, je ne sais pas, mais en tout cas, ça m’intéresse.
Mais en tout cas, plus j’apprends, plus j’ai l’impression de ne pas savoir. Donc ça, on a toujours besoin d’apprendre. C’est une parole de sage, ça, Selvam. C’est vrai. Tu as été nommé directeur à l’Alliance française de Bangladesh.
Tu t’y installes en 2017. Quand tu apprends que tu vas avoir ce poste et que tu vas t’installer dans ce pays proche de l’Inde, c’est quoi ta réaction ? C’est l’excitation de rentrer dans un nouveau poste et de découvrir un nouveau pays, une nouvelle culture ? Oui, alors pas tout à fait une nouvelle culture parce que le Bangladesh c’est. Quand même très proche de l’Inde.
Ça a été l’Inde, ça a été le monde indien pendant très longtemps. Donc j’étais à la fois rassuré, j’avais l’impression quand même de me retrouver en terrain connu et en même temps curieux en me disant qu’il y aurait certainement des différences, des grosses différences avec l’Inde et c’est ce que j’ai effectivement bien bien ressenti à mon arrivée. Donc oui, à la fois très rassuré et curieux. Alors, si on pose la question aux Français, je pense qu’on aura moins de 5% de bonnes réponses. La capitale du Bangladesh est Dhaka.
Il y a 169 millions d’habitants au recensement de 2021. La devise, c’est le Taka. On ne connaît rien du Bangladesh, Selvam. En France, en tout cas, les gens ont une image très faussée de la mondialisation du monde du textile au Bangladesh. On a toujours cette image très négative qui a pu exister, le travail des enfants et les conditions sociales déplorables.
Mais il faut savoir que toutes les entreprises occidentales ont fait un énorme travail pour que les normes sociales et que le bien-être des… alors le bien-être c’est peut-être un grand mot, mais en tout cas que l’ouvrier ou l’ouvrière en particulier soit respecté et que le travail soit quelque chose de positif et pas… et plus ou pas une forme d’exploitation de l’Occident sur d’un pays asiatique. Donc oui c’est quelque chose que les français en France doivent absolument. C’est que l’entreprise textile, le monde du textile est quelque chose de relativement intéressant pour le développement du pays, pour l’émancipation féminine, pour le progrès en général et le progrès social en particulier.
Est-ce que si je lis à travers ce que tu me dis, les choses avancent quand même positivement ? Absolument, à tous les niveaux, au niveau environnemental, au niveau social, au niveau du bien-être des salariés, au niveau des normes, au niveau de la protection de l’enfance, de l’éducation aussi. Par exemple, nous on a un Français qui habite à Dakar et qui a créé une école dans son usine pour que les enfants puissent être puisse être suivi au niveau éducatif dans l’après-midi pour que les gens aient envie de travailler et se sentent bien à travailler à l’usine tout simplement, avec un salaire décent en plus. On va revenir sur ton métier, toi tu es à la direction d’établissements culturels rattachés à la géopolitique, l’idée en gros c’est d’utiliser la culture pour l’intégration, pour favoriser l’intégration. En l’occurrence, on va parler de ce que tu fais actuellement avec des femmes afghanes.
La culture est une vraie arme, c’est ce que je disais en chapeau d’introduction. Absolument. C’est une arme extrêmement efficace sur le long terme. Par contre, effectivement, ça prend du temps. Et ça se compte en dizaines d’années, en générations, pour que les choses avancent.
Mais sur le fond, effectivement, je pense que la culture est plus efficace que les armes et que l’armée. C’est toujours plus de patience. mais un investissement à long terme avec des résultats plus puissants, plus profonds, plus durables. Et on est sur la radio des Français dans le Monde, alors est-ce que les Français dans le Monde font irradier la culture ? Est-ce qu’on reste au top niveau, nous les Français, dans ce domaine ?
Je pense, puisque quand je suis arrivé au Bangladesh, j’ai découvert une vraie francophilie. Au Bangladesh, il y a deux alliances françaises. Et ces deux alliances françaises fonctionnent à plein régime, je dirais. Quand j’étais directeur d’alliance, tous les mois on organisait un festival de cinéma, un concert, une tournée…
de pièces de théâtre. On a vraiment fait tout le tour et à chaque fois on a fait carton plein puisque le public est très effrayant de culture française. On a fait même des soirées de musique baroque avec du charpentier, du couperin, etc. Et au théâtre national de Dakar c’était plein et les gens en redemandent. Donc il y a une vraie attractivité de la culture française.
C’est très fort. On va parler de ta présence dans le nord de la France actuellement, dans le cadre de ce que tu développes au sein d’une institution locale qui soutient des étudiantes rattachées à l’Asian University for Women. En gros, cette université récupère des femmes qui doivent fuir un pays en guerre, qui fuient la pauvreté, qui fuient parfois les deux en même temps. 1500 étudiants sont aujourd’hui au sein de l’Asian University for Women, beaucoup d’Afghans. Et toi, tu as dans cet établissement une action culturelle.
C’est ça, on a créé une forme de centre culturel, qui a été parrainé par l’ambassade de l’Union Européenne d’ailleurs. L’idée étant de favoriser les ponts entre la culture européenne et les cultures locales, les cultures de ces filles, de ces jeunes femmes, et de leur apporter ce que les valeurs de l’Europe peuvent avoir de positives en termes de respect des minorités, minorité sexuelle en particulier, le mouvement LGBT, mais aussi la richesse de la langue, le français, mais pas seulement, aussi l’espagnol, l’italien, et puis toute la culture européenne dans sa grande diversité, et notamment musicale, puisqu’on anime le cœur de l’université, le cœur des étudiants de l’université, qui ont elles-mêmes souhaité avoir un chœur symphonique où elles veulent chanter du Mozart, du Beethoven, du Bach, etc. Toujours en dialogue avec leurs propres cultures, les cultures afghanes. Comme vous le disiez, l’université accueille beaucoup d’Afghans. Il y a à peu près 23 nationalités représentées à l’université.
Il y a des étudiantes Rohingyas au City, des réfugiés Rohingyas, des Birmanes, des Cambodgiennes, des Syriennes, des Indiennes, etc. Donc c’est une sorte de bouillon de culture, au vrai sens du terme, et nous on apporte l’aspect européen pour enrichir encore plus leur parcours. J’ajoute, je précise juste que ces étudiantes sont boursières. L’université accueille des étudiantes gratuitement, avec des donateurs, des fonds qui viennent essentiellement des Etats-Unis, du Japon, de Chine et de Singapour. Mais les étudiantes venues d’Afghanistan ou de familles pauvres du Bangladesh ne payent pas les droits de scolarité, ou alors très peu.
Et nous, ce qu’on apporte à côté, on n’est pas dans l’université à proprement parler. On a une association à côté de l’université, une association avec deux pieds, je dirais, un volet bangladais et un volet français. Le volet français est chargé de lever les fonds auprès des donateurs, essentiellement français mais pas que. Et le volet bangladais est chargé de mettre en place, mettre en branle les activités. Et donc avec l’association, on a levé les fonds pour pouvoir faire venir ces jeunes filles, ces jeunes femmes.
L’idée étant de les mettre en contact avec la société française, notamment le milieu entrepreneurial, puisque beaucoup se destinent au monde de l’entreprise, puisque Elles ont suivi des études d’économie à l’université. Beaucoup sont les premières filles de leur famille à avoir accédé à l’université. C’est vraiment… Et là, c’est très fort d’avoir… C’est une université qui apporte une éducation de haut niveau, des hautes études, à des filles venues de familles très pauvres, très modestes.
Et voilà. Et donc nous, on est là pour faire un pas de plus avec l’université, leur apporter un peu plus. Selvam, tu dois vivre des aventures humaines absolument incroyables et passionnantes. En même temps, tu dois être assez fier qu’un certain nombre de ces femmes puissent s’émanciper et puissent vivre une vie correcte. En même temps, il y a quand même un chantier énorme.
Ce n’est pas décourageant de temps en temps ? Alors c’est pas toujours facile, mais à chaque fois qu’il y a une victoire, ça rachète toutes les suées, les déceptions qu’on peut avoir, les moments un peu difficiles où il faut argumenter auprès des uns et des autres, tout le travail qu’on fait aussi auprès des donateurs ou simplement des consulats et des ambassades de France pour obtenir les bourses. Là par exemple, j’étais dans un moment un peu difficile à la préparation de la tournée où il fallait quand même beaucoup travailler et puis j’ai appris qu’une de mes étudiantes, une jeune femme venue du Nagaland, un état très pauvre de l’Inde, venait d’être acceptée à Saclay, la meilleure université française, au classement mondiau. Elle a été acceptée à Saclay, alors qu’elle vit un parcours extrêmement cabossé, où elle a été malmenée, violentée, abusée, etc. dans son enfance, dans un foyer très pauvre, de petits paysans indiens.
Voilà, elle avait déjà été la première de sa famille à accéder à l’université, mais ça va être aussi la première des étudiantes que j’ai suivi à accéder à l’université de Saclay. Et ça, vraiment, ça m’a redonné, ça m’a rebousqué. J’imagine. J’imagine. Et puis, la boucle est bouclée, puisque tu as quitté le Bangladesh pour être dans le nord de la France, où tu as grandi il y a quelques années.
T’es vraiment un citoyen du monde, toi. Je suis un citoyen du monde peut-être, mais je suis surtout un lillois. Quand j’étais enfant, on m’appelait le ch’ti indien. Et c’est vrai que le fait d’avoir gardé mes racines indiennes en quelque sorte, mais aussi lilloises, permet de décupler les forces et de travailler avec les institutions locales ici dans le Nord et de… comment dire, ces institutions locales, étant elles-mêmes très présentes au Bangladesh via le milieu du vêtement, sont très volontaires et très bienveillantes pour nous soutenir dans nos actions pour les étudiantes.
C’est quelque chose de très précieux et je remercie vraiment tous les français qui s’engagent pour le développement de ces jeunes femmes au Bangladesh via cette association adossée à l’université. Voilà, sans eux, rien n’est possible. Nous, on est là. Comme je dis toujours, moi, je fais le lien, encore une fois, je fais le lien entre ces jeunes femmes qui ont cette motivation pour travailler, pour se développer, et puis les gens de bonne volonté qui sont prêts à les aider. Il manque parfois un intermédiaire et j’essaie de combler ce manque.
En tout cas, Selva, merci d’avoir répondu à nos questions et puis au plaisir de te retrouver sur cette antenne. Oui, merci beaucoup. Merci. À bientôt. Vous écoutez la radio des Français dans le Monde.
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