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Pourquoi le pain artisanal est-il si spécial ?
L’invité de cet épisode est Lionel Ducreau, un boulanger passionné originaire de France, installé depuis 2014 à Saint-Jérôme, au Canada. Lionel est à la tête de sa propre boulangerie artisanale, « 2 gars dans le pétrin ». Son parcours est marqué par un amour indéfectible pour le pain de qualité et un savoir-faire qui a su traverser l’Atlantique. Malgré les défis rencontrés, notamment après la pandémie de Covid-19, Lionel a su préserver l’authenticité de ses produits, tout en s’adaptant aux spécificités locales, comme l’utilisation de farines locales de qualité supérieure.
Dans cet épisode, Lionel nous éclaire sur les différences entre le pain artisanal et celui produit par les grandes chaînes industrielles. Il explique comment la main de l’homme, les ingrédients de qualité et le savoir-faire traditionnel font toute la différence. Nous découvrons également que la baguette française a été inscrite au patrimoine immatériel de l’UNESCO, une reconnaissance qui célèbre l’importance culturelle de ce pain emblématique. Lionel partage sa fierté de perpétuer cette tradition à des milliers de kilomètres de la France, tout en apportant une touche locale grâce aux ressources canadiennes.
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Chapitrage du podcast :
00:00:00 – Introduction et bienvenue de l’invité
00:00:27 – Fantasme des auditeurs et impact de la boulangerie artisanale
00:01:08 – Installation de Lionel au Canada et défis de la boulangerie
00:01:92 – Efforts et sacrifices pour maintenir la boulangerie
00:02:26 – Epreuves post-Covid et gestion de l’équipe
00:02:49 – Problème de la qualité de la baguette dans le monde
00:03:38 – Qualité des ingrédients et farine canadienne
00:04:50 – Inscription de la baguette au patrimoine immatériel de l’UNESCO
00:05:34 – Différence entre pain artisanal et pain industriel
00:06:40 – Fierté de la baguette artisanale reconnue par l’UNESCO
00:08:01 – Impact de la vie nocturne sur l’accent français de Lionel
00:09:56 – Nostalgie de la France et intégration au Québec
00:11:66 – Evolution perçue de la France et souvenirs de l’époque
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Vous allez sans doute fantasmer cette nuit, voir passer des petits pains au chocolat devant vos yeux. Une belle baguette bien croustillante grâce à la magie de la radio. Je vous téléporte dans la boulangerie-pâtisserie artisanale. De mon invité, on retrouve Lionel, direction le Canada. Lionel, bonjour.
Bonjour tout le monde, bonjour à toi, comment vas-tu ? Je vais très bien, est-ce que ça va les chevilles, tout ça, parce que tu sais que tu es un des podcasts les plus écoutés sur notre radio ? Bah écoute, oui, c’est sûr qu’avec le temps qu’il fait actuellement, il vaut mieux avoir de bonnes chevilles par rapport au froid canadien là. Non, non, les chevilles vont me biegguer. Alors moi, je pense que les auditeurs qui sont aux quatre coins de la planète ont dû fantasmer sur ce podcast parce que entendre parler d’un bon boulanger qui parle d’un bon pain artisanal quand on est français expatrié, forcément, c’est le rêve.
Ben oui, tout à fait. On vient récupérer un peu de chez soi à l’extérieur et les gens viennent chercher du réconfort. Alors ça marche aussi bien pour les pains au chocolat, comme tu disais, que pour la chocolatine. Ah ben oui, c’est vrai. Moi, je suis un gars du Nord.
Chez moi, c’est la chocolatine. J’ai choisi mon camp. Tu es installé depuis 2014 à Saint-Jérôme, on est à quelques kilomètres de Montréal. Ta vie se passe là-bas comme un vrai boulanger. Tu te lèves très tôt, tu travailles beaucoup.
Je pense qu’il y a beaucoup de boulot. Oui, effectivement. La boulangerie a ouvert en 2014, exactement le 20 mai, qui est la date de mon anniversaire. Et puis oui, c’est beaucoup d’efforts, beaucoup de travail, c’est beaucoup de sacrifices. On se lève à minuit, une heure du matin avec une équipe qui est fabuleuse.
C’est sûr qu’on a traversé un petit peu le désert du Sahara dernièrement, avec tout ce qui s’est passé après la Covid et le manque de main d’œuvre. Alors, je ne sais pas qu’on s’est séparé à travers le monde. Ça a été un petit peu laborieux, mais tout va bien. On reprend du poil de la bête. L’équipe est en complet.
Oupie c’est un pur bonheur pour tout le monde. Bon ce qui est sûr c’est que j’aurais jamais pu être boulanger vu que je vais me coucher au moment où toi tu te lèves donc là c’est sûr que j’aurais jamais pu faire ce métier. C’est sûr que ça demande de l’entraînement. J’imagine. Est-ce que tu peux m’expliquer, s’il te plaît Lionel, pourquoi on est incapable de faire une bonne baguette dans tous les pays du monde alors que les ingrédients sont assez simples ?
C’est pas quelque chose d’incroyable à fabriquer. Pourquoi on n’arrive pas à en fabriquer bonnes baguettes comme on trouve dans les boulangeries françaises partout autour du monde ? Ça dépend de beaucoup de choses. Ça dépend de la météo, ça dépend du blé qu’on fait venir, comment est-ce qu’on l’entrepose. Il y a beaucoup de choses à prendre en considération.
Nous, c’est sûr qu’au Canada, on a un énorme territoire où le blé canadien est quand même assez présent, même dans l’industrie de la boulangerie française. C’est une farine qui est très forte. Mais en plus ici au Québec, nous avons d’excellents moulins comme notamment les moulins de Soulanges qui font eux de la farine de blé de culture raisonnée. C’est à dire que c’est quasiment, on ne va pas dire le mot parce qu’on est C’est biologique, mais si jamais leur culture est menacée par une maladie ou peu importe, ils peuvent la traiter. Mais en général, c’est des farines qui ne sont pas traitées.
Donc, il n’y a pas d’OMG, il n’y a pas de pesticides et on trouve de très bonnes farines ici au Canada, avec notamment les moulins de Soulanges qui font de la farine de culture raisonnée. Depuis qu’on s’est parlé, la baguette de pain a été inscrite au patrimoine immatériel de l’UNESCO. C’est une fierté française, Cocorico ? Oui, tout à fait. La baguette, je pense qu’actuellement, on la mange à travers tout le globe.
Qu’on soit ici, en France, c’est sûr qu’en France c’est le plan national, mais en Amérique du Nord, en Asie, n’importe où à travers le globe, on mange, on peut trouver de la baguette qui est notre héritage culturel. Et oui, c’est une véritable fierté. On se lève le matin, mais maintenant, on sait pourquoi. Avec tous ces savoir-faire des artisans, le métier est reconnu. Maintenant, il faut le faire connaître beaucoup plus parce que c’est sûr qu’à l’heure actuelle, avec tout ce qui est les chaînes industrielles, etc.
L’artisanat a quand même pris un petit coup, mais nous sommes là et on fait du pain depuis des millénaires et je pense pas que c’est une chose qui va s’arrêter du jour au lendemain. Alors justement j’ai une question à un spécialiste Lionel, est-ce que tu peux m’expliquer la différence entre une baguette qu’on peut acheter dans toutes les chaînes, il y en a beaucoup en France aujourd’hui qui sont en train de naître, des chaînes qui ne sont pas vraiment des vraies boulangeries et le pain artisanal tel que toi tu peux le fabriquer, c’est quoi la différence entre ces deux baguettes ? Déjà, nous, quand on fait le pain, il y a la main de l’homme qui est posée sur la pâte. On touche la pâte, on touche les produits. On est à côté des machines, des pétrins, la façonneuse.
On est quand même présent. L’industriel, c’est informatisé, c’est robotisé. C’est du surgelé, c’est congelé, c’est précuit, voire même des fois pas du tout. C’est juste précuit. Et quand il distribue dans les épiceries ou autres, ils devraient normalement finir la cuisson, ce qui n’est pas le cas.
C’est pour ça que de plus en plus, il y a eu un article qui est sorti dernièrement en France, qui disait que les Français raffolent du pain blanc, dans le sens que pas très cuit, versus à l’époque. Et ça, c’est un phénomène industriel. C’est un peu… L’image est un petit peu… A la même façon que dans l’industrie du poulet, où c’est C’est de l’abattage.
C’est dur à dire, mais c’est une sorte d’abattage. On gave les gens de produits vite faits, bien faits, et il y a leur rendement. Et donc du coup, c’est l’industrie qui nous fait manger de la cochonnerie. D’accord. Alors que chez un artisan, la plupart du temps, le pain est cuit, dans le sens qu’il est cuit à point, croustillant et tout ce qui s’ensuit, chose qu’on ne retrouve pas dans l’industrie boulangère des grandes chaînes.
Alors justement quand cette baguette rentre dans le patrimoine de l’UNESCO, toi français au bout du monde, tu as dû avoir plein de journalistes qui sont venus, je vois sur ton site une photo, tout de suite on vient vers toi je suppose. On en a parlé, les premiers times, beaucoup de clients sont venus nous féliciter, nous questionner, etc. Et c’est vrai que c’est une fierté et j’ai même actuellement des sacs à baguettes personnalisés avec le logo de la compagnie, de la boulangerie qui s’appelle 2 gars d’Alpêtrin. Et à l’endroit du sac à baguettes, la baguette est rentrée dans l’UNESCO. Et puis c’est quoi une vraie baguette artisanale ?
La façon de la faire, la façon de la cuire, la façon dont elle est présentée. On est allé vers l’avant pour encore accentuer encore un peu plus la chose. Ça a été une porte ouverte. Après, il faut savoir, je pense, sauter sur l’occasion et de dire oui, effectivement, notre baguette, même si on est à 7000 kilomètres de la naissance de la baguette, c’est fait par des Français avec de la farine qui est locale, donc de chez nous, du Québec. Mais ça n’enlève en rien le savoir-faire et la qualité du produit.
Alors justement Lionel, j’ai fait des dizaines d’interviews de français qui sont installés au Canada. Certains d’entre eux, au bout de quelques semaines, prenaient un peu l’accent. Toi, tu as gardé cet accent de baisier, cet accent chantant. Dis-moi, entre toi et moi, il n’y a personne qui écoute. Tu le travailles, cet accent chantant ?
Je ne le travaille pas. Disons qu’en fait, ce qui a permis de conserver un petit peu mon accent, c’est que je vis un ermitage. Je travaille la nuit, je rentre à la maison, je dors. Donc les seuls gens que je vois ce sont mes clients au magazine. Moi je suis arrivé ici, j’avais 30 ans et c’est sûr que quand on parle un petit peu, J’ai des fois des expressions québécoises, mais l’accent, lui, il reste.
Puis, tu vois, j’ai la chance de travailler dans mon entreprise. Nous avons des Québécois de Saint-Jérôme, mais on a aussi des Français. On a un couple qui vient de Champagne-Ardennes, François et Sylvie, qui sont ardennés. Il y a qui d’autre? Pour l’instant, il n’y a que eux.
Je travaille à un moment donné avec un Belge aussi. Mais non, je ne sais pas. C’est le fait d’être dans le berceau. On travaille la nuit, on rentre à la maison, on voit peu de monde. Et puis, ça a permis de conserver cet héritage culturel itérois.
Et ma dernière question, évidemment, la France, tu le disais, t’as 7000 kilomètres. Elle est bien loin. Elle ne te manque jamais. Tu n’as jamais envie de revenir. Ben écoute, oui, j’ai depuis quelques temps le CAFAR de chez nous, de la France.
Là, pour l’instant, ça fait 9 ans que je suis à la boulangerie, donc je ne suis pas retourné voir ma famille, mes amis. D’ailleurs, mes parents s’en viennent au mois d’avril bientôt pour un mois et demi, pour souligner les 9 ans de la boulangerie. Oui, la France me manque, la gastronomie me manque, l’architecture, l’histoire, le patrimoine français, ça me manque, les paysages. Mais ça fait depuis 2005 que je suis ici au Québec. Et on est un petit peu, on est français mais on est québécois, canadien.
On est du sang mêlé, on est un petit peu perdu dans tout ce méandre de culture, de nationalité. Je me dis qu’il y a 17 ans de cela, j’ai fait le bon choix de m’en venir ici. La France, elle change. Pour les Français qui sont sur place, c’est une continuité. Mais pour nous, il y a vraiment, je pense, pour les Français qui restent au pays, au Canada ou au Québec depuis tant d’années, il doit y avoir une question qui doit être assez énorme.
Oui, je pense aussi. En effet, ces dernières années, ça s’est un peu précipité les changements. Et puis, on vit dans une ambiance depuis la période Covid, la guerre, la récession, la retraite en France aujourd’hui, dans une France qui est quand même un peu abîmée. Oui, c’est ça. On est loin de la France qu’on a pu connaître de l’époque, comme dirait mon père, des années 50, des années 60, qui étaient des bonnes années, années 70.
Nous, c’est 70, 80, 90. Et bien sûr, quand on parle de la France de notre époque, on parle aussi du club Dorothée et de toute cette insouciance que nous avions quand nous étions jeunes. Mais elle a évolué, elle a changé. Elle est toujours aussi belle. Mais est-ce que Du jour au lendemain, je retournerai en France, je me sentirai comme chez moi.
Je me pose des questions. Un petit bout de France pour toi travailler en pleine nuit, tu mets la radio à fond et je t’imagine en train de chanter à tue-tête. Oh oui, bien sûr, on écoute la radio française, on écoute… Des fois on écoute les grosses têtes aussi. Donc on rigole, c’est assez franchouillard et ce qui est assez surprenant des fois c’est de voir nos jeunes québécois qui écoutent la radio que nous nous écoutons et puis qu’ils nous regardent avec des grands yeux.
C’est quoi ça ? C’est sûr. Peut-être pas le genre d’humour, les grosses têtes, ils doivent pas bien comprendre du coup. Non, c’est ça, c’est assez rock’n’roll. Je l’imagine.
Merci en tout cas, le numéro un de nos podcasts, Lionel Ducrot, avec un nom bien français, qui tient une boulangerie pâtisserie artisanale depuis 2014 à Saint-Jérôme. Venez de notre part chercher le petit pain au chocolat. J’insiste. Merci. Merci beaucoup, Lionel.
A bientôt. Merci à toi et merci à vous tous.
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