Antivenin sans animaux : Le pari d’Eric Crampon

Comment une technologie innovante pourrait-elle révolutionner le traitement des morsures de serpents ?

Dans cet épisode captivant de « 10 minutes, le podcast des Français dans le monde », Gauthier Seys s’entretient avec Eric Crampon, un virologue français basé à Boston. Ensemble, ils explorent une question intrigante : comment une technologie sans animaux pourrait-elle transformer le traitement des morsures de serpents, une maladie tropicale négligée ? Avec 20 000 décès par an dus à ces morsures, principalement dans les pays tropicaux, la nécessité d’une solution efficace et abordable est plus pressante que jamais.

Eric Crampon, originaire des Hauts-de-France, a fait ses études à l’Institut Pasteur avant de s’installer à Boston, un haut lieu de la recherche scientifique et de la biotechnologie. Ayant travaillé dans divers laboratoires prestigieux et avec une expérience significative dans le domaine des maladies tropicales, Eric est bien placé pour aborder ce défi. Après avoir perdu son emploi post-Covid, il s’est tourné vers la recherche d’une solution innovante pour les antivenins, utilisant les nanobodies, des anticorps dérivés de requins et de camélidés, offrant une production plus rapide et moins coûteuse.

L’épisode se concentre sur le potentiel des nanobodies pour offrir une solution révolutionnaire aux morsures de serpents. En évitant l’utilisation d’animaux dans la production des antivenins, cette approche pourrait réduire considérablement les coûts et augmenter l’accessibilité dans les pays en développement. Eric Crampon partage sa vision de créer un antivenin universel, capable de sauver des vies dans les régions les plus touchées, tout en cherchant à lever des fonds via le crowdfunding pour faire avancer ses recherches. Un projet ambitieux qui, s’il réussit, pourrait changer la donne pour des milliers de personnes chaque année.

Pour soutenir le projet :
https://experiment.com/projects/toward-ethical-and-affordable-antivenom-solutions-can-anti-toxin-be-animal-cruelty-free

Pour contacter Eric Crampon :
Ecrampon@gmail.com

Chapitrage du podcast :
00:00:01 – Introduction et présentation de l’invité
00:00:18 – Avertissement sur les morsures de serpents
00:00:45 – Contexte de la relation avec l’invité
00:01:72 – Défiance envers la parole scientifique
00:01:101 – Polémique sur les vaccins ARN
00:02:143 – Tensions sociales et pandémie
00:02:166 – Parcours professionnel
00:04:229 – Système de licenciement aux États-Unis
00:05:159 – Début de la recherche sur l’antivenin
00:06:380 – Négligence des morsures de serpents par les grands laboratoires
00:08:506 – Objectif de la recherche : technologie nanobody
00:09:629 – Appel à financement et finalité humanitaire du projet

Transcription ID du podcast :

Bienvenue dans 10 minutes, le podcast des français dans le monde, pour aider tous ceux qui se préparent ou qui vivent de près ou de loin la mobilité internationale. Je suis Gautier Seix et j’ai le plaisir de passer 10 minutes avec Eric Crampon. Il est virologue et on part à Boston.
10 minutes. 10 minutes. Le podcast des français dans le monde. Alors je vais tout de suite prévenir les âmes sensibles. On va parler de morsures de serpents.
Voilà, je le dis tout de suite parce qu’il y en a quelques-uns, ils sont en train de se jeter sur leur téléphone pour couper le flux de la radio. Ils ne veulent pas entendre parler de serpents. Bonjour Eric ! Bonjour, comment ça va ? Mais plutôt bien, on va jouer la transparence avec nos auditeurs.
On se connaît d’abord parce que tu es un gars du Nord. Tu es né dans les Hauts-de-France, Marc Embareul, on salue les Marquois qui nous écoutent. Et puis, on a eu l’occasion de faire pas mal de podcasts ensemble parce qu’il y a eu un petit virus qui s’est promené il y a quelque temps sur notre planète. Et comme tu es virologue, tu es plusieurs fois venu éclairer nos auditeurs. sur les souches, sur les vaccins, sur toutes ces polémiques, le masque, tout ça.
On a traversé une drôle de période quand même. Il y a eu du bon et du mauvais. Les scientifiques n’ont jamais eu autant de paroles qu’à l’époque, mais les conséquences ont été violentes. C’est-à-dire que maintenant, il y a une grosse défiance de la parole scientifique suite à cet épisode. C’est vrai qu’on avait un peu entendu tout et son contraire.
Parfois, je venais vers toi pour avoir un petit éclairage. Tu reconnais que c’est vrai. Oui, il y a eu trop de choses qui se sont dites, il y a eu trop de poids à apporter. Certains seraient mieux restés derrière leur paillasse. Je suis d’accord.
Pourquoi il y a eu une telle polémique sur les vaccins et pourquoi encore aujourd’hui ça porte tout un imaginaire ? Parce que ça soigne les gens quand même de base, il faut le rappeler. Oui. Ce qui a posé problème, c’est que c’était une technologie nouvelle qui n’avait jamais été appliquée à l’homme. Le seul vaccin RNA qui avait été développé jusqu’à maintenant était pour les saumons.
Par ça, il y avait aussi cet aspect obligation vaccinal qui est très mal passé. la communication a pu être mieux faite. On a réagi, il y a eu un mélange de tout, il y a eu aussi le shutdown qui n’a pas aidé. Psychologiquement pour tout le monde se retrouver claquemuré chez soi, ça a été compliqué. Imposer en plus de ça une solution vaccinale, les gens ont mal vécu.
Non, plus les réseaux sociaux, plus un Occident qui vieillit, plus des tensions. Tout ça a amené à quelques fantasmes quand même. Si on revient sur ton parcours, toi, donc, tu vas faire tes études, travailler à l’Institut Pasteur jusqu’à ce qu’en 2012, une opportunité s’offre à toi pour aller vivre et travailler en tant que virologue à Boston. Boston, c’est quoi ? C’est le fief des chercheurs ?
C’est la mecque de la biotech pour sûr. On a MIT, on a Harvard, on a beaucoup d’universités, donc il y a une forte emprise scientifique et universitaire. Et toutes les grandes compagnies sont là. On a Novartis, on a Sanofi, on a GSK, on a Takeda. Donc toutes les grosses boîtes sont là, plus un vivier, une pépinière de biotech énorme.
Toi, tu vas faire trois laboratoires différents à des postes de grande responsabilité. Tu es toujours un Français aux USA avec une carte verte, même si tu es en train d’avoir une procédure pour devenir citoyen américain. Tout à fait, c’est ça. Ça fait cinq ans que j’ai la carte verte. Donc au bout de cinq ans, on est libre pour devenir américain.
Le seul avantage, c’est que ça permet de voter et ça permet surtout d’avoir de sécuriser ses droits pour la retraite. Parce que mine de rien, on ne rajeunit pas. Il faut y penser. Alors, parlons justement de notre système américain, puisqu’il y a un an, ça bouge un peu dans les laboratoires. Il y a eu un petit effet post-Covid, justement, et des licenciements sont arrivés.
Tu as toi-même perdu ton boulot à ce moment-là. Alors, un petit mot pour rappel à nos auditeurs français qui ne savent pas toujours comment ça se passe à l’étranger. Quand on te dit aux États-Unis que ta mission est terminée, tu rentres le jour même. Lorsqu’on est renvoyé du jour au lendemain, on repart chez soi. Quand on est licencié, on a quand même une période de grâce de deux mois.
Par contre, au deux mois, c’est fini. On rend son ordinateur, son badge, on rend tout. Et on part avec ce qu’on appelle un paquet licenciement qui dépend de son ancienneté dans la boîte. Et on est éligible au chômage, mais le chômage qui ne couvre au mieux que six mois de vie. Et encore, avec une des cotes de salaire, on touche un quart de ce qu’on pouvait toucher avant.
Et au bout de six mois, on ne touche plus rien du tout. OK, donc ça, c’est la bonne nouvelle. La deuxième bonne nouvelle, c’est que c’est souvent l’entreprise qui prend à sa charge le coût de l’assurance complémentaire santé que tu perds aussi. Eh oui, tout à fait. Donc on passe d’une assurance maladie qu’on paye à 200-300 dollars tous les 15 jours parce que j’étais dans une boîte pharmaceutique, donc déjà j’avais une des cotes assez conséquente.
Et du jour au lendemain, on se retrouve à payer près de 5000 dollars par mois pour avoir une assurance maladie. Pour toi et la famille. Donc là, ça fait un petit choc, on va dire. C’est ça. Sachant que comme tu connaissais le système, tu avais mis de côté Oui, heureusement.
C’Est ce que je me suis toujours dit. Je savais que j’étais sur un marché concurrentiel et qui est ultra dynamique, donc j’ai pu avoir cette logique d’épargner, mais ce qui n’est pas la logique américaine. Et c’est pour ça que quand on parle en ce moment du shutdown avec les fonctionnaires fédéraux, la culture américaine est plus de vivre à crédit qu’à débit. Et par conséquent, lorsqu’ils ne touchent plus leurs fiches de paye, pour le coup, c’est au bout d’une semaine ou deux qu’ils n’ont plus rien sur le compte en banque. En tout cas, tu vas faire une réunion avec toi-même, Eric, et tu vas te porter sur un sujet important autour de l’antivenin.
L’idée aujourd’hui, c’est que notre petit Français à Boston veut révolutionner l’antivenin mondial grâce à une technologie 100% sans animaux, plus rapide, moins chère et capable de sauver des vies dans les pays tropicaux. Explique-moi un peu déjà pourquoi les morsures de serpents sont une maladie pas forcément traitée par les grands laboratoires. Oui, parce que déjà, pour rappel, depuis 2007, l’OMS reconnaît les morsures de serpents comme une maladie tropicale négligée. Pourquoi c’est négligé ? Parce que ce n’est pas d’attraction sur les grandes compagnies, ça fait des morts, 20 000 morts par an.
plus que l’Ebola qui en tue 6000 si on veut avoir un désordre de grandeur, mais surtout, indépendamment des gens qui meurent, il y a aussi beaucoup de gens qui sont amputés ou qui deviennent invalides sur le long terme. Pourquoi c’est négligé par les grandes boîtes pharmaceutiques ? Et c’est vrai bien dire, c’est dans des pays tropicaux, donc c’est pas là où le retour sur investissement est le plus rapide ou le plus intéressant pour les grandes compagnies. Et deux, c’est que chaque pays a besoin d’une réponse antivenin spécifique. C’est ça, tu me disais, il y a cinq ou six types de traitements différents à inventer.
C’est ça, donc il faut les grands bassins de découverte, ça serait un vaccin pour l’Amérique du Sud, un pour l’Inde et la région asiatique et un autre pour la région africaine. Et comme on se disait aussi hors antenne, même les serpents français qui ne tuent pas peuvent laisser des graves séquelles dans l’organisme. C’est ça, parce qu’un autre aspect qui peut être un spin-off à terme si ça marche, c’est que certaines de ces toxines de serpents peuvent avoir des intérêts thérapeutiques, parce que ça va sur les neurones, ça peut avoir des effets myo-relaxants, ou des applications pour le cancer, mais ça c’est une autre application. L’idée initiale c’est de sauver des vies de gens qui sont en danger dans des pays émergents où il y a un besoin immédiat de résoudre ce problème. Alors toi, français établi en tant qu’expat à Boston, tu te penches sur ce sujet et tu penses qu’il y a des solutions autour d’une technologie qu’on appelle le nanobody ?
C’est ça, en fait le nanobody c’est dérivé d’anticorps de requins ou de camélidées. Pour les gens qui ne se souviennent plus de leur cours de biologie de terminale, un anticorps c’est un gros Y qui s’accroche aux pathogènes et qui permet de les neutraliser. Les anticorps que tout le monde produit ont deux chaînes, une chaîne légère et une chaîne mourde. Là où les camélidés et les requins ont une différence, c’est qu’au lieu d’avoir deux chaînes, ils n’en ont qu’une seule. Donc d’un point de vue ingénierie de protéines, c’est beaucoup plus simple de travailler avec un module simple qu’avec un complexe qu’on doit accrocher.
C’est beaucoup plus petit, c’est beaucoup plus stable, ça s’exprime en bactéries, ce qui fait que c’est beaucoup moins cher à produire, et c’est beaucoup plus rapide, notamment en utilisant des techniques modernes in vitro, on n’a pas besoin d’injecter des souris ou des chevaux pour produire des antivenins, on peut être plus rapide et grâce à ça avoir une diversité de solutions qui répondent plus rapidement à un marché émergent. Alors, on l’a bien compris, le travail sur ce dossier. Aujourd’hui, il va falloir que tu te fasses aider. Donc, tu travailles à la recherche d’investisseurs, mais tu ouvres également un crowdfunding. C’est bien ça.
J’ai toujours travaillé depuis ma thèse sur des maladies tropicales. J’avais travaillé sur la fièvre jaune quand j’étais à Pasteur. Quand j’étais à Taqueda, j’avais travaillé sur la dengue. Donc, j’ai déjà eu cette sensibilité. Je connais un peu les limitations des financements pour les maladies tropicales.
Mon idée, c’est que pour attirer les plus gros poissons, il faut avoir une preuve de principe. C’est ce que je cherche à faire, c’est pour ça que j’ai créé sur Experiment.com un appel à crowdfunding pour essayer d’amasser ce pécule ma première découverte d’anticor en ciblant d’un premier temps les serpents brésiliens parce que j’ai déjà réussi à attirer l’attention de Fiocruz au Brésil qui serait prêt, si j’ai une solution, à la développer et à la commercialiser. Et c’est dans ce sens aussi que j’ai pris contact avec d’autres personnes, notamment des personnes de l’OMS, et que j’assisterai à la fin novembre à une conférence à Casablanca sur la découverte des dentivenins et ce qu’on appelle la biologie médecine transnationnelle concernant ces dentivenins. Alors si on est concret Eric, moi j’ai eu plein de fois besoin de toi et de tes lumières. Pendant cette période de Covid, qu’est-ce que je peux faire aujourd’hui pour toi et qu’est-ce que les auditeurs de la radio des Français dans le Monde, vous êtes plus de 100 000 à nous écouter aux quatre coins de la planète chaque jour, peuvent faire pour toi ?
En fait, l’idée c’est de voir si vous voulez sauver des vies dans des pays clairement émergentes, vu que la solution que je propose s’adresse dans des régions forestières ou agricoles, en Inde, en Amérique du Sud, au Brésil, et à terme aussi, si le projet marche et que je peux faire cette extension géographique, en Afrique. L’idée que j’ai, c’est de trouver une solution qui ne nécessite pas de faire mal aux animaux, parce qu’à l’heure actuelle, les antivenins sont produits en injectant chaque année 3 à 4 chevaux, qu’ensuite on saigne à mort pour récupérer leur plasma, et c’est ça qui sert de solution antivenin. Je propose une solution moderne, purement utilisant la technologie des protéines recombinantes, Peu coûteuse parce qu’on peut le produire en bactéries. Donc au lieu d’avoir des doses qui coûteraient de l’ordre de 50 dollars la dose à produire, je peux produire des solutions antivena à 5 dollars. Donc pour des pays qu’on appelle low and medium income country, c’est un gros changement, on peut sauver des vies pour moins cher.
Ce que j’essaie de proposer, c’est un changement de paradigme. Non seulement on abandonne la cruauté animale, parce qu’on n’a pas besoin de faire souffrir des chevaux pour produire une solution, et on a une solution économiquement viable pour des pays qui en ont besoin et pour lesquels la plupart des boîtes pharma ne s’adressent pas. C’est très clair. Évidemment, dans ce podcast, on n’aura pas pu éclaircir tous les angles différents de ton projet. Maintenant, tu restes à disposition de nos auditeurs, ceux qui ont envie d’en rentrer en contact avec toi, de poser des questions, d’aller un peu plus loin.
Il y a un dossier, il y a un site avec le crowdfunding. Tout ça est disponible dans le descriptif du podcast. J’ai très envie que tout ça fonctionne très bien et qu’on suive avec la radio cette aventure incroyable. Je suppose que ces derniers mois n’ont pas été de tout repos. Aujourd’hui, ce projet T’excites ?
Oui, j’ai toujours eu cette fibre humanitaire et ça me fait plaisir de pouvoir donner un sens à la science que je peux faire, de me dire qu’il y a un impact immédiat. Je vais aussi essayer de faire un changement de législation auprès de la FDA, donc l’agence responsable des médicaments pour les États-Unis. Donc c’est un marathon dans lequel je me lance. Mais je vois l’intérêt, je vois aussi la pétance. J’ai discuté avec des gens.
On peut sauver des vies. On peut éviter à des gens des amputations dans des régions qui sont négligées. Et c’est ça, pour moi, qui est le plus intéressant dans ce projet. Et je suis content que la radio des Français dans le Monde donne écho à ce projet. Surtout, n’hésitez pas à échanger avec Eric Crampon, virologue à Boston, qui était avec moi aujourd’hui.
À très vite. Tu me tiens au courant ? Ça marche. À très bientôt.

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Podcast n°2609(novembre 2025)

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