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Comment faire face à une crise humanitaire sans précédent ?
Antoine Lissorgues, l’invité de cet épisode, est un acteur engagé dans l’aide humanitaire au Mexique, notamment dans les régions frontalières avec le Guatemala. Son rôle au sein de Médecins du Monde Suisse le place au cœur des problématiques migratoires et des enjeux de santé publique dans cette zone critique. Son expérience et son engagement en font un témoin précieux des défis actuels liés à la coopération internationale et à la solidarité.
L’épisode aborde la situation alarmante à laquelle Médecins du Monde Suisse est confrontée après la perte soudaine de financements américains, représentant près de 800 000 euros. Antoine explique comment cette coupure a forcé l’organisation à s’adapter rapidement pour maintenir ses programmes d’aide aux migrants. Grâce à l’intervention du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et de l’Union européenne, des solutions temporaires ont été trouvées pour continuer les activités essentielles, bien que des ajustements soient nécessaires. L’épisode met en lumière la fragilité des systèmes de solidarité internationale face aux changements politiques et économiques, tout en soulignant l’importance de maintenir un débat public sur ces questions cruciales.
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Chapitrage de l’épisode :
0:00:01 – Introduction et accueil d’Antoine Lissorgues
0:00:30 – Panique initiale suite à l’arrêt des financements américains
0:01:10 – Contexte des coupures budgétaires et leurs conséquences
0:02:19 – Relais médiatique et impact de l’appel à l’aide
0:03:12 – Importance des valeurs de solidarité et coopération internationale en danger
0:04:06 – Soutien du ministère et de l’Union européenne
0:05:41 – Adaptation aux nouveaux financements et poursuite des projets
0:07:15 – Dynamique migratoire au Chiapas et au Tabasco
0:08:26 – Impact de l’arrêt du programme CBP One
0:10:08 – Conditions de migration difficiles et retour aux pays d’origine
0:11:41 – Réflexion sur les besoins de main-d’œuvre aux États-Unis
0:12:42 – Importance de continuer à témoigner et sensibiliser publiquement
0:13:30 – Conclusion et remerciements
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Bienvenue dans 10 minutes, le podcast des français dans le monde. Je suis Gautier Saïs et j’ai le plaisir de passer 10 minutes avec Antoine Lissorgue. Direction le Mexique, on parle de médecins du monde suisse. 10 minutes, le podcast des français dans le monde. françaisdanslemonde.fr Sur l’antenne de la radio des Français dans le Monde, le 26 février dernier, Antoine était venu crier attention, ça ne va pas du tout.
Il y a urgence à se mobiliser. On le retrouve aujourd’hui pour faire le point. Antoine, re-bienvenue. Bonjour Gauthier, content de te retrouver aujourd’hui, un mois et demi après notre premier entretien. Content de pouvoir expliquer comment la situation a évolué.
Alors, faut dire que clairement, quand on s’est parlé, il y avait panique à bord. Vous aviez reçu des informations concernant les financements américains qui, depuis, puisque quelques jours après qu’on se soit parlé, ont bien décidé de clôturer purement et simplement l’aide prévue qui devait se poursuivre encore sur deux années. Vous n’aurez rien. Vous n’aurez plus rien. C’est fini.
Exactement, donc pour faire un petit retour en arrière, quand on avait échangé le 20 février, on a vu une première lettre nous annonçant qu’on devait stopper toutes nos activités pour une période de trois mois, que le projet allait être révisé pour voir s’il correspondait bien aux nouvelles politiques en matière de coopération du gouvernement américain. Bien évidemment, on ne cochait pas vraiment les gaz puisqu’on travaillait sur la migration, les thématiques de genre. et la solidarité internationale. J’avais peu d’espoir quand même que notre projet puisse continuer. Effectivement, on a eu une réponse le 26 février, une lettre nous annonçant que la collaboration et le financement avec cette agence du département d’État Et pour être concret, ça représente à peu près 800.000 euros de perdus.
C’est ça, entre 750 000 et 800 000 euros. C’est ce qu’on perd et c’est surtout quelque chose sur lequel on comptait pour les années à venir pour financer des équipes médicales, des équipes psychosociales, la logistique d’un projet tel que celui de Médecins du Monde pour venir en aide aux populations migrantes qui traversent le Mexique. Alors ton cri d’alerte a été relayé par plusieurs autres médias. Tu es passé sur Radio-Canada, Le Soir en Belgique et en France RFI et France 24, qui sont des médias internationaux. Tu penses que ça a été utile, du coup ?
Je pense que oui, puisque quand on avait échangé, je crois que c’était le premier média que je faisais. Donc déjà, je te remercie. J’avais contacté de moitié plusieurs médias, de fil en aiguille des contacts. Et je crois que ça a marché. Et puis, par ailleurs, je crois que c’était important.
Il fallait le faire. Il faut continuer à le faire. dans un moment crucial de la coopération internationale, des valeurs de solidarité internationale, où il faut encore placer dans le débat public tout ce qu’on risque de perdre, tout un système qui existait de solidarité internationale, qui est en train de s’effriter petit à petit, soit sur la question des financements, puisqu’on a bien vu que dans la foulée des coupures budgétaires américaines, on a des gouvernements en Europe, pour des raisons différentes, entre autres d’austérité budgétaire, qui coupe également de manière drastique dans les budgets de coopération. On le voit pour la France, 36% sur l’aide publique au développement, la Belgique 25%, l’Allemagne, etc. Et ensuite on parlait également des valeurs, donc c’était important à ce moment-là de voir que nos valeurs, les valeurs qu’on défend, justice sociale, l’égalité des genres, étaient directement attaquées.
Donc le cri d’alerte, je ne pourrais pas dire s’il a été entendu directement, mais en tout cas, il y a plusieurs personnes qui ont réagi. Il y a eu aussi des messages de solidarité qui font du bien dans ces moments-là, qui font du bien aux équipes, qui font du bien aux personnes avec qui on travaille. Donc, content et on espère que ça puisse continuer et qu’il y ait un vrai débat de fond qui puisse être amené dans les médias, dans la société en général. Alors, comme on ne vit pas d’amour et d’eau fraîche, il faut quand même saluer le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, ainsi que l’Union européenne, qui tous les deux vont apporter une aide qui n’était pas prévue, et qui vont vous permettre de poursuivre vos programmes humanitaires, même si vous allez peut-être devoir l’adapter un peu ou l’alléger un peu, réduire la valure, comme on dit dans le domaine privé. Ces changements, aujourd’hui, quand même, vous obligent à vous adapter, mais il n’y a pas d’arrêt brutal comme on aurait pu l’imaginer.
Exactement, on a eu très chaud, comme on dit, il y a un moment où effectivement j’étais très préoccupé pour l’avenir de la mission de médecin du monde suisse au Mexique. On parlait vraiment de coupes drastiques et surtout dans un temps record, c’est-à-dire qu’on reçoit une lettre sous 24 heures, il fallait cesser nos activités. Je tiens aussi à saluer une nouvelle fois le courage de la direction du médecin du monde qui a dit non, non, Comme un accord, on n’arrête pas, d’une part parce qu’il y a des patients à soigner, on en avait déjà parlé, donc on se donne un peu d’air. On investit avec des fonds propres sur trois mois et trois mois, ça nous permettra certainement de rebondir et de trouver d’autres travailleurs. Donc on avait déjà sollicité le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
français pour des financements sur un autre programme et un programme qui prend fin ou qui prendra fin à la fin de l’année et donc on a envisagé de continuer sur une troisième phase, donc un engagement de 1 million d’euros sur deux ans, ce qui est courageux dans une période aussi de coupure budgétaire et qui va nous permettre de continuer nos actions sur ce programme qui est un programme de réduction des violences de sort dans le sud. du Mexique et dans le nord du Mexique et puis l’Union Européenne avec un financement qui ne sera pas hauteur du financement américain mais en tout cas qui nous permet d’aller jusqu’à la fin de l’année et nous permettre de trouver d’autres alternatives et là c’est bien pour le projet santé et migration de médecins du monde suisse à la frontière sud. On va devoir réduire un petit peu certaines activités mais en tout cas a quand même une capacité aussi d’adaptation et on va pouvoir continuer quasiment dans l’entièreté notre projet sur la prise en charge médicale, la prise en charge en santé mentale et puis la prise en charge des violences de genre. Alors on va rappeler où tu te trouves, tu interviens donc pour médecin du monde suisse au Mexique, dans une région où justement la migration est en train de bouger parce que tout ce qui se passe dans le monde aujourd’hui fait que un certain nombre de migrants avaient décidé d’aller vers les Etats-Unis, ils ont bien compris que c’était plus la peine. Est-ce que tu peux nous rappeler un peu la région où tu es et qu’est-ce qui se passe en ce moment ?
Alors moi je suis basé au Chiapas qui est l’état, un des états frontaliers avec le Guatemala. Un petit peu la porte d’entrée pour de nombreux migrants pour rejoindre les Etats-Unis. C’est un peu la dernière étape, le Mexique. Et puis on est également présent au Tabasco qui est l’état voisin du Chiapas qui est également une frontière avec le Guatemala. Donc…
Qu’est-ce qui se passe ? Comme je le dis souvent, la migration est un phénomène de toute façon millénaire. On a eu des populations nomades, on a tous migré par choix, il y a des personnes qui ne le font pas par choix malheureusement, et qui migrent et qui continueront à migrer parce qu’il y a une forme de rêve américain. Et on avait surtout des personnes qui étaient déjà au Mexique dans l’attente de pouvoir traverser, parfois de manière irrégulière, parfois de manière régulière, de rejoindre les États-Unis, parce que certains ont de la famille, parce que certains ont des opportunités ensuite de décrocher un emploi. Et il y avait un programme qui existait jusqu’au 20 janvier, date d’entrée en fonction de Donald Trump, qui s’appelait CBP One, qui permettait notamment aux migrants qui rejoignaient le Mexique de pouvoir rentrer via une application et solliciter une demande d’asile à distance, disons depuis le Mexique, en tout cas que cette demande puisse être reçue et ensuite rentrée de manière régulière aux Etats-Unis.
Cette application a été annulée dès le 20 janvier, donc on s’est retrouvé avec des milliers de personnes qui avaient fait des milliers de kilomètres depuis des pays d’Amérique du Sud, depuis des îles des Caraïbes comme Haïti, mais ce qu’on appelle aussi des extra-continentaux, donc des personnes qui venaient d’Afrique ou qui venaient de pays du Proche Moyen-Orient. Et donc ces personnes-là sont retrouvées, prises dans les taux, au Mexique. Et aujourd’hui, les dynamiques changent parce que soit elles cherchent à rester au Mexique, en espérant que les mesures migratoires mises en place par le nouveau gouvernement américain puissent s’assouplir dans la durée. Donc ces personnes-là souhaitent rejoindre des villes comme la capitale, Suadamerico, ou des grandes villes comme Guadalajara, Monterrey au nord, qui sont des villes avec à forte issue entrepreneuriale où il y a beaucoup d’industries, et ce qui leur permet finalement de pouvoir postuler à une demande d’asile et rester au Mexique dans des conditions légales, postuler pour un emploi. Et on a d’autres personnes, malheureusement, qui, on le voit, sont en train d’essayer de faire le chemin inverse et retourner dans leur pays d’origine.
C’est assez grave, je trouve, pour des personnes. Il y avait un article qui est arrivé il n’y a pas longtemps sur des personnes vénézuéliennes qui se retrouvent bloquées au niveau du Panama parce qu’elles doivent repasser. Certaines ne peuvent pas le faire. Détroit du Darien entre la Colombie et le Panama, dans des conditions extrêmement hostiles, c’est une jungle hostile au niveau des conditions sanitaires avec des risques de mort. Par.
Des morcures d’insectes ou autres, piqûres d’insectes pardon, et puis surtout des femmes qui sont souvent soumises à des violences sexuelles par des groupes armés illégaux et autres. Donc voilà, on en est un petit peu aujourd’hui, des personnes qui sont déportées directement des États-Unis vers leur pays d’origine, même si pour l’instant on s’aperçoit que les déportations massives telles qu’elles ont été promises, finalement elles ne sont pas si massives que ça. Alors, en l’occurrence, on avait entendu que c’était vraiment un peu de less-proof, comme on dit, c’est-à-dire qu’on filmait des personnes qui rentraient dans leur pays. Au final, tu te dis, les Américains ont besoin aussi de main d’œuvre. Est-ce que ça va durer ?
Est-ce qu’au final, ils vont pas ré-entre-ouvrir la porte un peu ? Alors, c’est ce que certains misent là-dessus aussi. C’est pour ça qu’ils restent au Mexique. On dit qu’à un moment, peut-être un risque d’inflation, il faut bien des personnes pour travailler, il faut de la main d’œuvre et souvent c’était aussi nécessaire pour travailler dans différents domaines aux Etats-Unis. Donc il est possible qu’à un moment il y ait un effet de retour de manivelle ou effectivement voir l’inflation pointer le bout de son nez d’une part par les les taxes et autres qui est en train d’infliger le gouvernement au monde entier.
Et puis parce que les migrants constituent un contingent important de personnes qui venaient travailler dans différents domaines aux Etats-Unis. Bon Antoine, pour faire un petit bilan, ça va mieux. Un certain nombre de solutions ont été trouvées. À suivre quand même pour la suite. En tout cas, merci à ceux qui se sont mobilisés.
Elle n’a pas été massive. Il n’y a pas non plus une mobilisation, même en Amérique ou en Europe anti-américaine. Il n’y a pas non plus encore aujourd’hui une grande mobilisation, mais peut-être que ça s’organise. On ne sait pas. On espère et je le souhaite de tout cœur.
Je pense qu’il faut réagir. Une fois de plus, moi, j’ai une grande fierté à travailler pour Médecins du Monde, une organisation qui me permet aujourd’hui de parler dans les médias, de dire ce qui se passe sur le terrain. C’est un de nos piliers chez Médecins du Monde. Alors oui, on soigne, mais aussi on a le devoir d’être témoin, d’être témoin de différentes injustices qui se passent aux quatre coins du monde. Si on ne fait pas, qui le fera ?
Donc une fois de plus, on doit continuer à le faire. J’espère que j’entendrai d’autres personnes à en parler en public, à en parler au café du coin ou que ce soit, mais il faut en parler. Si on n’en parle pas, ce sera les mouvements dominants, rétrogrades, conservateurs, qui aujourd’hui veulent nous imposer leur politique, leur philosophie, de voir le monde et qui est un monde qui se ravient de Christ. Il y aura très peu de diversité, donc parlons-en dans le débat public et ne restons pas les bras croisés. Il y a beaucoup de choses à faire, chacun à son échelle en tout cas.
Et la radio des Français dans le Monde est heureuse de relayer ton message. Tu salues toutes les équipes sur place. Au plaisir de te retrouver dans les prochains mois. On garde contact dans tous les cas. Merci beaucoup Gauthier.
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